18/11/2012

Mah Jong

Le temps est impitoyable.

Il passe, il s’en va et rien ne peut l’arrêter. C'est effrayant. Car qui dit temps qui passe, dit vieillesse. Qui dit vieillesse, dit maladie, invalidité, démence, incapacité, handicap.

Sachant cela, il existe trois types de personnes: celles qui s’y soumettent et celles qui s’insurgent. Moi, c’est la troisième catégorie qui me touche. Celle qui vit avec. En se servant du temps comme d’un allié et non comme d’un ennemi. Ce type de personne profite de chaque instant qui lui est donné et ne se préoccupe aucunement du temps qui passe. En l’ignorant, elle s’en affranchit, s’en libère.

Et alors le temps s’arrête.

Comme maintenant, dans cette pièce où quatre amis se retrouvent autour d’une table carrée. Quatre personnes, âgées, aux cheveux blancs, aux habits sortant tout droit d'une autre époque, aux dos courbés sous le poids des années, aux visages flétris, où chaque ride est un vestige d’une expérience passée.
Mais pour ces quatre personnes réunies autour de cette table de Mahjong, cela n’a pas d’importance. Ce sont avant tout des amis, défiant le temps. Des joueurs taquins, joyeux, munis d’une sacrée énergie et d’une bonne humeur communicative. Le Mahjong fait office de cure de jouvence et la magie opère rapidement. Les cheveux restent grisonnants mais les yeux se mettent à pétiller de jeunesse, les gestes deviennent précis et maitrisés, chacun y va de sa verve malicieuse.

Les tuiles s’entre-choquent dans un bruit assourdissant, les mains ridées les mélangent avec dexterité, les assemblent avec agilité, les jeux de mots vietnamiens fusent.
Quatre personnes vives, loquaces, et pleines d’entrain, se taquinent mutuellement, se défient intellectuellement.

Quatre paires de mains qui mélangent, caressent, ordonnent, classent, jettent, trient les tuiles. Les couleurs rouges, bleues, vertes dansent sur le tapis; les signes chinois, les bambous, les ronds s’entremêlent… La passion qui embrase leur regard, la vitesse à laquelle ils mélangent les tuiles, l’aisance avec laquelle ils adaptent leur stratégie sont surprenantes de part leur contraste avec leur âge.

L’humeur est à la boutade et c’est avec gaité que le gagnant réclame ses gains. Dans une fausse mauvaise foi boudeuse, les perdants tendent avec regret leurs pièces. Car au Mahjong, on ne plaisante pas. Les pistes sont brouillées, les stratégies audacieuses. La vivacité d’esprit dont font preuve ces quatre joueurs ne reflète pas leur condition physique. 

L’horloge est figé et retient son souffle. L’âge ne compte plus. A cet instant précis, le temps n’a pas de prise sur ces quatre amis.


photo copy


All She Can Eat

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire